Lorsque j’étudiais en photographie, je travaillais également dans un laboratoire photo 1 heure. C’était au début des années 90’. Il y avait, à l’époque, naguère, dans l’ancien temps les magasins « Direct Film », « Astral Photo », « Centre Japonais de la Photo », et cie. Le magasin où je travaillais (je tairai le nom) était situé à la Plaza Alexis-Nihon. C’était très pratique pour moi, je n’avais qu’à traverser la rue pour aller à mes cours au Dawson Institute of Photography juste en face. Notre magasin avait un laboratoire sur place et nous offrions un service de développement des films en 24 heures et en 1 heure.
Pour les plus jeunes qui ne connaissent que la photo numérique, je vais prendre le temps d’expliquer brièvement comment on photographiait à l’époque. Les photos étaient faites sur un film : une bande de plastique recouverte de produits chimiques qui réagissent à la lumière. Une fois la photo prise, on devait traiter le film avec des produits chimiques pour obtenir l’image. Ce qui veut dire qu’on ne voyait pas immédiatement les photos. Imaginez que vous devez « attendre » pour voir toutes les photos que vous faites avec votre caméra ou votre téléphone! Parfois il s’écoulait tellement de temps entre la prise de vue et le moment où on voyait enfin les photos qu’on ne se souvenait plus de ce qu’on avait photographié.
Aussi, les possibilités de manipulations d’images que Photoshop et cie nous offrent n’existaient pas. Impossible d’effacer quelqu’un d’une photo, pas d’oreilles de souris ajoutées ni de gros culs ou de grosses boules à-la-Kim-Kardashian greffés avec une application pour être une insta-babe. Bon, ok, un technicien très habile pouvait le faire en chambre noire mais on parle ici d’un travail de plusieurs jours et qui est très coûteux.
Au moment où j’étais technicien dans ce laboratoire, la photographie numérique débutait. On entendait parler de Photoshop et de la retouche d’images (c’était trèèèès loin de ce que c’est aujourd’hui) et plusieurs personnes croyaient qu’on pouvait faire ça avec du film.
Maintenant que vous avez une idée du contexte, je vais vous raconter quelques histoires que j’ai eues avec les clients du laboratoire.
Les maudits chats
Vous croyez que les gens trippent sur les chats que depuis l’avènement des réseaux sociaux? Et bien non, le phénomène existe depuis très longtemps. Les gens qui avaient un animal de compagnie le photographiait sur toutes ses coutures. Des chiens, des lapins, des cochons d’Inde, des perruches, des c’est-quoi-cette-bibitte, on a tout vu. Le pire était ceux qui avaient des chats. Je vous jure qu’il y en a qui consacrait des rouleaux de films complets au cr….. de chat! Ceux qui avaient des chats perdaient contrôle, c’était de la folie! Ils étaient possédés d’une force surnaturelle qui les poussait à photographier le chat jusqu’à épuisement des piles de la caméra.
Je me souviens de cette femme qui a déposé un sac de plastique sur le comptoir et qui voulait que les films soient développés en triple, dans 1 heure. Il y avait 6 rouleaux de 36 poses dans le sac. 1 ou 2 rouleaux en 1 heure, c’est possible mais 6… non. Après 20 minutes de négociations, elle accepta de revenir le lendemain. Croyez-le ou non, toutes les photos de tous les films étaient un maudit chat! 6 rouleaux de 36 poses en triple, ça fait 648 photos du cr…. de chat! La facture était dans les 100$!
Les photos de passe-port
On offrait un service de photo de passe-port. Les photos étaient faites sur du film Polaroïd. Beaucoup de clients nous demandaient de faire une séance de photo de mode parce qu’ils voulaient bien paraître. « Les douaniers s’en foutent que vous soyez belle ou non sur la photo, ils veulent juste contrôler votre identité. » Une fois une fille m’a demandé de retoucher la photo de passe-port à cause de son gros nez. Je lui ai répondu : « impossible mademoiselle, la photo doit montrer la réalité », elle était choquée.
« Enlève mon chapeau! »
Cette histoire est arrivée à un ami qui fut lui aussi technicien dans un labo photo. Une dame lui a apporté un portrait sur lequel la personne porte un chapeau. Elle lui a demandé si il était possible de retirer le chapeau. Mon ami lui a dit que c’était possible mais que ça prendrait du temps et que ça serait dispendieux. Une telle retouche représente tout un travail en chambre noire. Le technicien doit trouver un portrait sur lequel le modèle a une coiffure qui ressemble à celle de la personne avec le chapeau et ensuite les cheveux sont transposés. Finalement, c’est comme le faire avec Photoshop mais avec du film. La dame accepta car elle tenait vraiment au portrait « sans chapeau ». Il lui demanda donc : « à quoi ressemble ses cheveux? » Réponse : « tu vas le voir quand tu vas oter le chapeau. »
Demandes impossibles en vrac
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Pouvez-vous prendre une photo noir & blanc et la mettre en couleur? Non.
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Pouvez-vous enlever le reflet dans les lunettes? Non.
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Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de photos sur mon film? Parce qu’il n’a jamais été mis dans une caméra.
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Pouvez-vous développer juste les bonnes photos qu’il y a sur le film? Non. C’est tout le film ou rien.
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Est-ce que je peux réutiliser mon film? Non.
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Est-ce que je peux faire des photos numériques avec la caméra que j’utilise avec du film? Non.
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Avez-vous une caméra à film qui montre les photos juste après les avoir faites comme une caméra numérique? Ça n’existe pas.
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Pouvez-vous photographier mon chat? Criss non!
Lecture intéressante. J’ai moi-même étudié en phot au cégep du Vieux-Montréal (1973-1976) et j’ai aussi travaillé à Alexis-Nihon dans ces années au Miracle Mart. D’ailleurs, je demeure aujourd’hui à deux pas d’Alexis Nihon. Je ne me souviens pas précisément où était situé ce magasin de photo, mais je me souviens qu’il y en avait un. Merci encore pour votre texte. Ça m’a rappelé de bons souvenirs.
Le « Centre de la Photo de Montréal » n’existait pas à l’époque où vous travailliez à la Plaza Alexis-Nihon. Le magasin était situé près de l’actuel McDonald au niveau de la rue.