Un documentaire social imposant
Gabor Szilasi est sûrement un des plus grands photographes humaniste du Québec. Les historiens qualifient son travail de « documentaire social », un des plus importants à avoir été fait au Canada. Gabor aime les gens et est très curieux. Toutes ses photos ont un seul objectif : documenter le moment présent.
Gabor Szilasi est né en Hongrie en 1928. En 1952, il achète sa première caméra, un Zorki (caméra russe qui est une copie des caméras Leica). À ses débuts, il s’inspire de Paris Match, Life et Vogue. Avec sa famille, il fuit le pays en 1956 lors du soulèvement populaire. Sa famille fait une demande d’immigration auprès de la Suède et du Canada et c’est ce dernier qui répondit en premier.
Durant la traversée de l’océan en bateau pour venir au Canada, il contracte la tuberculose. Pendant qu’il est soigné à Halifax et ensuite Québec, il apprend le français. Gabor dira plus tard que la langue est ce qui permet le mieux à un photographe de documenter un pays inconnu.
« Elle (la langue) permet une approche plus intime des gens dans leur milieu. Elle favorise la découverte du détail parlant, une des plus importantes notions en photographie »
Son premier travail fut avec l’Office du Film du Québec. Il explora les régions de la province afin de documenter le quotidien des gens. C’est avec l’oeil d’un étranger qui regarde la culture québécoise. Pour lui, la photographie est un art avec une portée historique, culturelle et sociale. La nature de son travail fait qu’il a une approche réaliste et humaniste.
Le plus important pour lui est de présenter clairement son sujet et de montrer aux gens ce qui se passe «maintenant», au moment où il appuie sur le déclencheur. Lorsqu’on demande à Szilasi pourquoi il a commencé à faire de la photo, il répond : « J’avais le besoin de faire de la photo, de mettre sur pellicule ce que je voyais. »
Les voyages
Szilasi a documenté la région de Charlevoix, les villages de la Beauce et la région de Lotbinière. Il a fait des séjours à Chibougamau, Rouyn-Noranda et Val-d’Or. Chaque fois, il s’attarde principalement à trois thèmes : les gens, l’intérieur de leur demeure et leur village.
Lorsqu’on regarde ses photos, les gens sont présentés sans artifice. La plupart du temps, il ne les fait pas poser, il les photographie comme ils se placent devant sa caméra. Même approche lorsqu’il photographie l’intérieur des résidences : il plante sa caméra dans la pièce et photographie ce qu’il y a devant lui. Toutefois, il se permet à l’occasion de déplacer des objets afin d’obtenir une image bien composée. Mais, comme il dit lui-même : « je ne fais pas de design intérieur! »
La majorité de son travail est en noir et blanc. À l’occasion il utilise la couleur seulement si les couleurs du sujet le surprennent. “Je ne fais pas de paysage en couleur car je connais la couleur des arbres et du ciel!” dit-il. Certains intérieurs de maisons ont été photographiés en couleurs car ceux-ci étaient «particuliers». L’interprétation des lieux est complètement différente lorsqu’on peut voir les couleurs.
La rue Ste-Catherine
Dans les années 80, Szilasi s’intéresse à l’évolution de l’architecture à Montréal. Il documente de façon exhaustive la rue Ste-Catherine. Il la photographie avec une chambre 4X5 de Westmount jusqu’à Hochelaga-Maisonneuve.
Les portraits
On retrouve beaucoup de portraits dans l’oeuvre de Szilasi. Le photographe aime les gens! Ses portraits représentent les membres de sa famille, ses amis et les gens qu’il croise au hasard des jours. Szilasi a quelques réflexions intéressantes sur le portrait. Il considère que la folie et l’humour sont importantes mais jamais de cynisme ou de sarcasme. Selon lui, le portrait d’un individu est aussi un peu le portrait du photographe. L’expression du modèle reflète la conversation qu’il avait avec le photographe et l’énergie que celui-ci apportait.
Les Impatients
En 2005, Szilasi a photographié les patients des Impatients. Les Impatients est un organisme qui vient en aide aux gens avec des problèmes de santé mentale. On fait de la rééducation et de l’intégration sociale avec l’art thérapie.
La démarche derrière les portraits était très particulière. Szilasi a aménagé un petit studio dans un local aux Impatients. Il invitait une dizaine de participants et faisait leur portrait. Il laissait les gens décider comment ils voulaient se présenter sans tenter de comprendre leurs choix ou des influencer de quelque façon que ce soit. Certains étaient gênés et renfermés alors il montrait ces malaises dans les portraits. D’autres étaient plus ouverts et volubiles, il s’amusait avec eux.
Par la suite il demandait aux patients de choisir un de leur ami dans le groupe et de faire son portrait. Dans ces photos, on voit le regard qu’une personne avec des problèmes de santé mentale a sur les gens de son entourage.
Dans la dernière phase du projet, les patients faisaient leur propre portrait. La caméra était placée sur un trépied, Szilasi ajustait la mise au point et l’expositon. Le patient se plaçait devant la caméra et à l’aide d’un déclencheur, prenait lui-même la photo. Les gens étaient libre de se mettre en image comme bon leur semblait.
“Les questions que nous avons soulevées ensemble m’ont même fait réaliser des choses sur moi-même que j’ignorais jusqu’alors totalement.”
J’ai eu le plaisir de voir une exposition de Gabor Szilasi. La quantité d’informations qu’il va chercher dans ses photos m’a permis de me rappeler en détails des choses de mon enfance dans les années 80. Les publicités de cigarette omniprésentes qui vantaient le “bien vivre”, la mode vestimentaire, les moeurs des gens à l’époque, … Regarder son travail est un voyage dans le temps. Ses images sont d’une précision factuelle inouïe.
Toutefois, sans rien vouloir enlever au travail de Szilasi, je préfère regarder les photos de Doisneau ou de Cartier-Bresson. Il y a dans le travail de ces deux grands une folie, une poésie que je ne retrouve pas chez Szilasi. J’aime quand une photo me fait rire ou rêver.
“Il y a deux cadrages dans une photo. Le cadrage par les bords de la photo et le cadrage par le temps; la photo représente un instant de 1/250 de seconde. Une photo n’est pas une représentation définitive.”
PS: Il y a 3 petites entrevues réalisées par Musée des beaux-arts du Canada à visionner.
Merci pour cette excellente présentation, appréciée de tout le groupe
Merci!