Il y a deux photographes qui, en regardant leur travail, m’ont fait dire: “Wow! C’est ça que je veux faire!” Le premier fut Robert Doisneau. Photographier la vie quotidienne avec poésie, flâner dans les rues à la recherche d’un p’tit moment magique, c’est une démarche que j’adore et qui, en plus, est très thérapeutique pour moi. Le deuxième photographe qui m’a bouleversé fut Herb Ritts. Je vous présente dans cet article son travail et je vous explique ce que Herb Ritts m’a appris.
J’ai découvert le travail de Herb Ritts à la fin des années 80’ en regardant la revue “Photo”. À cette époque, ses photos étaient partout. Dans les pages de Vogue, Vanity Fair, dans les publicités de Chanel, Calvin Klein et autres designers. Il dirigeait des pubs à la télé ainsi que des vidéos pour Madonna, Michael Jackson, Britney Spears… il était partout!
Le naturel comme norme de beauté
Sa carrière a débuté avec un portrait de Richard Gere (un ami personnel) fait spontanément dans une station service. La photo fut utilisée dans une revue, tout le monde l’a aimée et on a commencé à faire appel à lui pour photographier les autres vedettes de Hollywood. On attribue à Ritts la création des “top modèles”. Avant lui, les modèles étaient engagées pour porter les vêtements et rien de plus. La pauvre fille n’avait pas de nom, pas d’identité et surtout aucune personnalité. Elle était une patère vivante: “Sois belle et tais-toi.”
Ritts s’intéressait à la personne qui était devant son objectif. Il la faisait bouger, il l’amenait à avoir des réactions, des rires, des sourires ou même des grimaces! Lorsqu’on regarde ses photos, on voit une personne qui vit et forcément la charge émotive de l’image vient nous chercher. Le phénomène des tops modèles est très simple: il faisait vivre la modèle dans les photos. Chaque modèle avait sa personnalité, son attitude, son énergie. La modèle faisait vivre les vêtements et, dans bien des cas, la présence du modèle dans la photo était plus forte que celle des vêtements! Les modèles étaient maintenant connues du public au même titre que les acteurs de Hollywood. Lorsqu’un designer faisait une campagne publicitaire pour présenter sa dernière collection, il cherchait la fille dont la personnalité va le mieux matcher avec les vêtements.
Ma méthode de travail
Cette façon de traiter les gens qui sont devant son objectif m’a marqué. Ce que Herb Ritts m’a appris est qu’il faut faire “vivre” les modèles. Il m’arrive de mettre de la musique en studio et de faire bouger la modèle en suivant le rythme. Il m’est même arrivé de demander à la modèle de danser! Jamais je ne fais “poser” la modèle. Je la fais bouger et je l’amène à trouver par elle-même les poses dans lesquelles elle se sent bien. Avant de faire un shooting, je prends le temps de parler avec la modèle. J’ai besoin de la connaître pour savoir ce que je suis en mesure de lui demander. Comment se sent-elle aujourd’hui? Smooth ou survoltée? Je ferai le shooting en fonction de son énergie, de son mood.
Le coffret « Men / Women »
Herb Ritts a aussi fait des photos avec des culturistes. Ces images furent faites dans une démarche complètement différente. Pour ces photos, les modèles “posaient”, ils étaient placés devant la caméra. Ici Ritts cherchait à mettre en valeur les corps musclés un peu comme s’ ils étaient des statues grecques. Souvent il utilisait une lumière très contrastée. Ses photos faites avec cette démarche sont réunies dans le très beau coffret de deux livres “Men / Women”.
Photographier en plein soleil? Oui!!!
Point de vue technique, ce que Herb Ritts m’a appris est qu’une photo dans laquelle il y a de la vie est beaucoup plus forte qu’une image techniquement parfaite dans laquelle la modèle ne respire pas tellement elle doit garder la pose. Il m’a aussi montré qu’on peut travailler en plein soleil l’après-midi sous un ciel bleu. Beaucoup de photographes détestent cette lumière parce que c’est trop contrasté, parce que les ombres sont trop prononcées, parce que le modèle va faire une grimace à cause du soleil qu’elle a en plein visage. Herb Ritts a trouvé une façon d’utiliser cette lumière. En fait, plusieurs de ses images ont été faites sur les plages de la Californie.
J’ai l’habitude de dire aux gens de trouver une façon originale d’utiliser les conditions de prise de vue qu’ils ont plutôt que de les voir comme des problèmes techniques. En plein soleil, la lumière est très crue alors on a forcément un fort contraste dans la photo. Où est le problème? On conçoit des images avec un esthétisme qui se prête bien à une lumière contrastée! Les ombres seront très fortes, très découpées, jamais on ne pourra s’en débarrasser. Plutôt que de tenter des éviter, on les utilise comme des motifs dans la photo. La modèle va faire des grimaces parce qu’elle aura le soleil dans les yeux? Pas si on prend le temps de bien la placer par rapport au soleil.
Faites comme lui
Je vous invite donc à regarder attentivement le travail de Herb Ritts. Portez attention à la lumière dans les photos. Regardez comment il fait vivre les gens dans ses images. Tentez de reproduire son style. Émuler le travail d’un grand photographe est une des meilleure façon d’évoluer en photographie.
Pour reproduire le style de Herb Ritts, vous devez:
- Faire du noir et blanc;
- Travailler en plein soleil;
- Regardez attentivement comment les ombres se forment sur le visage et le corps de votre modèle;
- Utilisez une vitesse d’obturation assez rapide pour figer le mouvement de votre modèle;
- Utilisez une ouverture de diaphragme d’au moins f8 pour avoir une profondeur de champ assez grande. Ainsi si votre modèle bouge et que la mise au point n’est pas parfaite, le modèle sera quand même net sur la photo;
- Concentrez-vous sur votre modèle plutôt que sur la technique! Faites vivre votre modèle!
- N’ayez pas peur du contraste!
“To me it’s just going for the moment that counts. Sometimes, I’ll have all the elements there, and I like to play and push something, and to me, in the end, you do achieve things that you’re not aware of in the beginning, even though you’re there trying to get them.” – Herb Ritts
Excellent article à lire sur le site de Vanity Fair: « Herb Ritts, In Retrospect »